Population, immigration, vieillissement
Découvrez l'évolution de la Suisse en 15 graphiques
Le pays, mû par une démographie galopante, passera le cap des 9 millions d’habitants en 2023. «Le Temps» propose une opération spéciale en graphiques pour comprendre les dessous de ce phénomène
- TEXTES: DUC-QUANG NGUYEN & FANNY SCUDERI
- ANALYSE ET VISUALISATION DE DONNÉES: DUC-QUANG NGUYEN
- RÉALISATION: DUC-QUANG NGUYEN, FANNY SCUDERI & ANTOINE WILLEMIN
- ICONOGRAPHIE: OLIVIA WERMUS GENEVAY, IMAGES KEYSTONE/AFP
- Publié le 8 mai 2023
A quoi ressemble une Suisse à 9 millions d’habitants? Où vivent-ils, qui sont-ils? L’évolution de la démographie ces 200 dernières années est intimement liée à l’immigration et au développement du pays. Elle dessine les préoccupations de demain: le vieillissement de la population pèsera-t-il sur les assurances, la disponibilité des logements? Quel rôle la migration joue-t-elle sur le renouvellement démographique? Des questions essentielles et des réponses en graphiques.
La population suisse a plus que triplé au cours des 140 dernières années. Une croissance si forte, sous l’impulsion de l’immigration, qu’elle propulse la Confédération parmi les pays européens à la démographie la plus galopante.
Le territoire hébergeait 5,5 millions d’habitants en 1960: cette année il en accueillera 9 millions, soit une progression de plus de 60%. Peu d’Etats ont connu une telle croissance démographique. On retrouve un taux supérieur seulement dans une poignée d’autres pays européens comme l’Islande, l’Irlande et le Luxembourg.
Quel est le moteur de cette poussée démographique? Jusqu’en 1945, la natalité était le facteur principal de croissance. Dans les années 1960, l’accroissement naturel commence à diminuer tandis que l’immigration devient de plus en plus importante. Depuis lors, la croissance démographique suisse a été constamment supérieure à 1%. La crise pétrolière en 1973 a freiné cette progression jusqu’à la fin de la décennie.
Depuis le début des années 1980, la migration internationale est devenue la force principale de l’augmentation démographique. La natalité a en revanche continué de décliner et ne pourrait à elle seule même plus maintenir l’effectif de la population suisse: le chapitre trois explore ce défi.
L’immigration est un thème récurrent dans la politique suisse depuis un demi-siècle. A plusieurs reprises, le peuple s’est prononcé dans les urnes sur la «limitation» de l’immigration, comme en 1970 avec la première initiative Schwarzenbach qui voulait limiter le nombre d’étrangers à 10% par canton. Quatre années plus tard, une initiative similaire, «contre le surpeuplement», était également refusée en votation. En 2014, l’initiative de l’UDC «contre l’immigration de masse» a passé la rampe. En 2020, le parti s’était à nouveau mobilisé, mais n’avait cette fois-ci pas obtenu de victoire dans les urnes. A l’approche des élections fédérales d’octobre, le thème de l’immigration agite déjà le pays, alors que l’UDC songe à lancer cet été une initiative pour lutter contre une Suisse à 10 millions d’habitants.
Avant de devenir un pays d’immigration, la Suisse, qui n’a pas toujours été un pays prospère, était un pays d’émigrants. La fin du XIXe siècle a joué un tournant décisif pour la Confédération, où affluent peu à peu des réfugiés politiques, tandis que les industries suisses, en plein essor, embauchent des travailleurs étrangers pour répondre à une pénurie de main-d’œuvre.
A nouveau au XXe siècle, après la Seconde Guerre mondiale, les entreprises suisses ont commencé à faire appel à une main-d’œuvre étrangère, principalement originaire d’Italie et des pays voisins, pour pallier la pénurie de travailleurs locaux. Ces «travailleurs immigrés» étaient censés retourner dans leur pays d’origine après un certain temps de séjour en Suisse.
L’émigration depuis l’Allemagne, l’Italie et, dans une moindre mesure, la France a des racines historiques profondes, comme l’illustre le graphique ci-dessous: il détaille l’évolution du nombre total de résidents non-nationaux de 1850 jusqu’à aujourd’hui.
Au tournant du XXe siècle, la première vague d’immigration moderne vers la Suisse provient presque exclusivement des pays voisins. A partir de la fin des années 1970, avec l’amélioration de la situation économique en Italie et en Espagne – qui étaient les principaux pays fournisseurs de main-d’œuvre –, la Suisse s’est tournée vers d’autres nations. Le Portugal et l’ex-Yougoslavie ont été les principaux points de départ des personnes migrantes, en particulier en raison de la guerre des Balkans au début des années 1990.
Plus récemment, grâce à une situation économique florissante et à l’instauration de la libre circulation des personnes dès 2002, la Suisse a attiré des milliers de travailleurs venant principalement des pays membres de l’Union européenne.
Au fil des années, le profil des émigrés a évolué. Dans le passé, ces derniers étaient majoritairement peu qualifiés. Aujourd'hui, les ressortissants de l'UE travaillant en Suisse sont près de la moitié à posséder un diplôme universitaire, soit une proportion plus importante que celle des Suisses eux-mêmes. Le cliché de l’immigré peu qualifié en provenance d’un pays latin est dépassé.
Avec plus 2,2 millions d’étrangers, ces derniers représentaient 26% de la population fin 2021. La très large majorité, soit 80% des non-nationaux établis en Suisse, sont des ressortissants européens. Les ressortissants d’Allemagne, d’Italie, du Portugal et de France constituent à eux seuls près de la moitié des étrangers en Suisse, à hauteur de 47%.
La notion «d’étranger» est liée ici à l’obtention de la nationalité. En comparaison avec d’autres pays, la Suisse a des critères très stricts pour l’attribution de la citoyenneté, qui ne s’obtient pas automatiquement. Nombreux sont les étrangers nés en Suisse qui conservent donc leur nationalité. Ainsi, en 2021, un cinquième de la population «étrangère» du pays était né sur le territoire de la Confédération. Et parmi les étrangers nés hors du pays, près de la moitié (47%) résident en Suisse de manière permanente depuis dix ans ou plus.
La Suisse reste un pays d’immigration. Un autre indicateur, indépendant de la nationalité, l’illustre: selon les chiffres de 2022, 30% de la population du pays est née hors de Suisse. En Europe, seul le Luxembourg abrite une proportion plus élevée de population née hors de son territoire.
L’accroissement de population n’est pas uniforme dans toutes les régions du pays: ces dix dernières années, c’est en Suisse romande que l’accroissement démographique a été le plus important. Les grandes agglomérations de Genève et Lausanne, mais aussi de Zurich, constituent les centres de l’essor démographique des vingt dernières années.
Les communes «périurbaines», proches d’un ou plusieurs pôles urbains, sont celles qui ont connu la plus forte croissance de population depuis 2000, suivies des communes urbaines. En revanche, les zones rurales se sont trouvées à la traîne: elles connaissent une croissance deux fois moins rapide que leurs homologues périurbaines. Les communes rurales de Suisse centrale ont connu la plus faible hausse d’habitants.
Si la Suisse romande fait figure de champion national de la croissance démographique, elle est dépassée au niveau européen par de nombreuses régions ayant connu un taux de solde migratoire encore plus élevé. La population a augmenté dans presque toutes les régions de l’ouest et du sud-ouest du continent en raison de l’évolution de la migration, comme le montre la carte ci-dessous.
En Suisse, la répartition des habitants n’ayant pas la nationalité suisse diffère largement selon les régions. La partie francophone, à l’ouest du pays, abrite la plus grande proportion d’étrangers. Le contraste est net avec la situation en Suisse centrale. Sans surprise, les ressortissants italiens, allemands et français sont proportionnellement plus nombreux dans les régions avec lesquelles ils partagent la langue.
La forte poussée démographique que connaît la Suisse depuis 1960 s’accompagne de changements dans la composition de la population. Nul n’ignore que l’on vit plus longtemps qu’autrefois, il est toutefois difficile de réaliser à quel point la pyramide des âges s’est transformée depuis 1860.
La population suisse est l’une des plus âgées de la planète avec 41,8 ans d’âge médian en 2021. Au palmarès des têtes grisonnantes, la Confédération est devancée notamment par:
- L’Allemagne, âge médian: 44,9
- L’Italie, âge médian: 46,8 ans
- Le Japon, âge médian: 48,4 ans
Mais le vieillissement de la population est un phénomène global. Encore à ses débuts dans beaucoup de pays du Sud, il s’y effectuera beaucoup plus rapidement que dans les pays du Nord. Ces derniers font actuellement déjà face à ce défi.
En calculant la proportion d’actifs pour chaque retraité, le rapport de dépendance démographique permet de mesurer la pression exercée sur la population productive. De l’éducation aux services de santé, en passant par la pénurie de travailleurs et le financement des retraites, cet indicateur a des implications majeures sur la planification d’un pays.
En 1860, la Suisse dénombrait 12 personnes de 20 à 64 ans pour une personne âgée de 65 ans et plus. Aujourd’hui, ce rapport n’est plus que de 3,2 par retraité.
Deux évolutions ont contribué au vieillissement de la population dès la fin du XIXe siècle: en premier, la baisse de la mortalité due à une amélioration de l’hygiène et des soins médicaux, suivie par la baisse du taux de natalité. La diminution de la mortalité se traduit par une augmentation de l’espérance de vie. Et dans cette catégorie, les Suisses font partie du peloton de tête.
L’espérance de vie au niveau mondial a augmenté de plus de 21 ans en l’espace de 60 années. Pour la Suisse, elle est passée de 71,3 ans en 1960 à 81,3 ans en 2020. Le graphique ci-dessus montre deux éléments:
- Les différences entre pays développés sont faibles.
- Les conflits ont des conséquences majeures sur cet indicateur.
L’espérance de vie a baissé presque dans tous les pays du monde en 2020, en raison de l’augmentation soudaine de la mortalité due à la pandémie de Covid-19. Par rapport à 2019, l’espérance de vie à la naissance dans l’UE a connu une baisse de 11 mois.
Si l’espérance de vie mondiale a augmenté de 42% en l’espace de 60 ans, le nombre moyen d’enfants par femme, soit le taux de fécondité, a diminué de manière encore plus importante durant la même période, de -51%. Le nombre moyen d’enfants par femme est passé de 4,7 à 2,3 dans le monde.
Le taux de fécondité helvétique actuel est de 1,5 alors que, pendant les années du baby-boom, entre 1945 et 1975, il s’élevait à 2,5. En Suisse, comme dans le reste des pays développés, ce taux demeure inférieur au seuil de renouvellement démographique établi à 2,1. En d’autres termes, la population de ces pays régresserait sans l’immigration.
La bombe démographique mondiale ne devrait pas exploser. Le taux de fécondité mondial devrait graviter autour de 2,1 à l’horizon 2050, selon les estimations de l’ONU, soit le seuil de renouvellement démographique. La population mondiale continuera de croître jusqu’à 9,7 milliards d’individus en 2050, puis atteindra un pic de 10,4 milliards dans les années 2080 avant de diminuer légèrement d’ici à la fin du siècle. Les pays d’Afrique porteront cette croissance: ils hébergeront une personne sur trois en 2100. Les craintes d’une «bombe démographique» incontrôlable, pointée dans les années 1960, sont désormais loin de l’humanité. Il est désormais admis que la croissance humaine ne sera pas éternelle. La Chine, où vit actuellement un sixième de l’humanité, a ainsi vu l’an dernier sa population baisser pour la première fois en soixante ans.
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