
Enregistrer un fonds de placement en Suisse
Texte: Yves Hulmann - Photos fournies par Gérifonds
Rapides à créer tout en faisant l’objet d’une surveillance étroite, les fonds de placement helvétiques offrent de nombreux avantages par rapport à d’autres véhicules d’investissement. Tour d’horizon avec Christian Carron, directeur de Gérifonds
Texte: Yves Hulmann - Photos fournies par Gérifonds
La direction et l’administration des fonds de placement n’ont cessé de gagner en complexité au cours des dernières années. Les objectifs à remplir sont multiples: il s’agit de répondre aux exigences accrues des autorités de surveillance, des gestionnaires d’actifs ainsi que des investisseurs. Créer un fonds de placement requiert depuis la dernière crise financière systémique de 2008 un grand nombre de compétences: «Avoir une idée de stratégie d’investissement et réunir une équipe de quelques personnes dans un petit bureau ne suffit aujourd’hui plus pour lancer un fonds de placement», cite, à titre de contre-exemple, Christian Carron, directeur de Gérifonds. L’occasion pour le CEO de cette société spécialisée dans la direction de fonds, qui est active depuis plus de cinquante ans en Suisse et vingt ans au Luxembourg, de rappeler quelles sont les différentes étapes et exigences nécessaires pour mettre sur pied un fonds de placement.
Pour créer un fonds de placement en Suisse, un gérant d’actifs doit tout d’abord être agréé comme Asset Manager de placements collectifs suisses par l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma). Après la création d’un fonds et tout au long de sa vie sociale, toutes les modifications ultérieures qui y sont apportées doivent également être annoncées, approuvées et intégrées dans son document légal de référence, soit le prospectus et/ou le contrat de fonds. «Un placement collectif suisse ainsi que toute modification d’un contrat de fonds approuvé requièrent l’approbation préalable de la Finma», précise l’autorité de surveillance sur son site.
Se pose d’abord la question du volume d’investissement minimal qui est nécessaire pour constituer un fonds de placement en Suisse. D’un point de vue légal, un fonds de placement doit disposer d’une fortune minimale nette d’au moins 5 millions de francs au plus tard un an après son lancement, indique l’Ordonnance sur les placements collectifs de capitaux. Dans la pratique, souligne Christian Carron, un volume d’investissement d’au moins 30 millions de francs apparaît toutefois comme le montant minimal pour couvrir les frais. Et il ne s’agit ici que d’un minimum, ajoute même le directeur de Gérifonds: «Idéalement, un fonds de placement devrait disposer d’une fortune d’au moins 100 millions de francs car, hormis les aspects purement réglementaires, il faut aussi tenir compte de considérations commerciales», ajoute-t-il.
Si un gérant de fonds ne peut pas proposer un certain volume aux investisseurs institutionnels, ses chances de succès seront très minces
En effet, un sélectionneur de fonds – en particulier s’il s’agit d’un investisseur institutionnel – souhaitera placer un certain volume dans un fonds qu’il a choisi, tout en respectant un ratio d’emprise qu’il ne peut pas dépasser. «Un montant de 2 millions de francs peut paraître important pour un investisseur individuel mais cela reste relativement peu pour une caisse de pension», précise-t-il. «Si un gérant de fonds ne peut pas proposer un certain volume aux investisseurs institutionnels, ses chances de succès seront très minces, même s’il parvient à obtenir d’excellentes performances avec ses placements», constate-t-il. S’y ajoute aussi la nécessité d’avoir une diversification suffisante d’investisseurs au sein d’un fonds. Que se passe-t-il si la fortune d’un fonds s’approche du montant minimum de 5 millions de francs? Etant donné que ce seuil de 5 millions de francs est prescrit par la loi, tout franchissement en deçà de cette limite entraînera à terme une fermeture du fonds.
La stratégie de placement définie par un fonds de placement lors de sa création fait aussi l’objet d’une surveillance permanente de la part de la direction du fonds. Deux cas de figure peuvent ici se présenter. Si un fonds ne précise aucune répartition sectorielle ou thématique spécifique, le gérant ne doit pas justifier un changement de répartition de l’allocation d’actifs dans un sens ou un autre. En revanche, lorsqu’un fonds de placement prévoit une répartition spécifique lors de son lancement, le gestionnaire devra expliquer pourquoi les limites définies au moment de sa création ne sont plus respectées. A cet égard, Gérifonds souligne les avantages qui résultent de la proximité entre la direction du fonds et ses gestionnaires. Grâce à des contacts réguliers, il est possible d’anticiper certains changements et de mettre en place les mesures correctives nécessaires.
Le gestionnaire du fonds doit respecter en tout temps la politique de placement. Que se passe-t-il toutefois si la politique de placement au sein d’un fonds n’est plus conforme à sa stratégie initiale? Si celle-ci est jugée correcte, l’examen s’arrête là. Si le gestionnaire pense qu’il est nécessaire de modifier la politique de placement du fonds, il doit en faire la demande auprès de la Finma, en passant par la direction de fonds qui doit ensuite faire approuver cette modification par l’autorité de surveillance. Si le gérant d’un fonds décidait de modifier les limites d’allocation d’origine, en faisant passer la part maximale en actions – par exemple de 50% au plus à un maximum de 60% –, il doit alors en faire la demande auprès de la Finma.
Compte tenu de l’ensemble des étapes à franchir lorsque l’on veut créer un fonds de placement, combien de temps faut-il prévoir pour son approbation? Tout dépend de la situation initiale du projet. S’il s’agit du lancement d’un fonds entièrement nouveau, les démarches nécessiteront davantage de temps et de préparation que si le gérant part d’une structure existante, comme un certificat ou un produit structuré qui est déjà commercialisé. Pour autant, lorsqu’un dossier est bien préparé, un nouveau fonds de placement peut être approuvé dans un délai de seulement de quatre à six semaines en Suisse, estime Christian Carron. A cet égard, le directeur de Gérifonds souligne la rapidité des réponses qui peuvent être obtenues de la part des autorités de surveillance. Lorsqu’une question lui est adressée, la Finma doit apporter une réponse dans un délai de cinq jours. Cela limite ainsi la durée des différents allers et retours pour chaque requête. En effet, il existe depuis 2013 la procédure «fast track» qui permet d’obtenir une validation en cinq jours ouvrables de la part de la Finma, et qui se fait exclusivement en ligne.
Pour Christian Carron, la réactivité des autorités et un cadre réglementaire plus souple figurent parmi les atouts clés de la place financière suisse dans le domaine des fonds de placement. Selon le spécialiste qui connaît bien à la fois la Suisse et le Luxembourg, la place financière helvétique est devenue beaucoup plus attrayante pour les fonds ces dernières années. «Dans la mesure où c’est possible, il vaut mieux choisir la Suisse pour enregistrer un fonds qui s’adresse à une clientèle domiciliée en Suisse. Tous les gérants de fonds vous le diront. Le principal avantage du Luxembourg est de donner accès à l’ensemble du marché européen», observe-t-il sur la base de son expérience et de celle des différents intervenants dans la branche.
Alors que les produits financiers ne cessent de se diversifier, les fonds de placement ne sont-ils pas devenus des instruments trop complexes à mettre sur pied lorsque l’on veut suivre une tendance de marché ou miser sur un thème très spécifique? Clairement, non! Pour Christian Carron, les fonds de placement conservent toujours d’importants atouts par rapport aux certificats ou aux produits structurés. Premier avantage essentiel pour les clients, surtout en période d’instabilité sur les marchés: les avoirs des fonds de placement sont ségrégués, ce qui fait qu’ils ne sont pas affectés par une éventuelle faillite de la société qui les gère, ni même de la banque dépositaire. Les fonds de placement ne sont ainsi pas exposés au risque d’émetteur, contrairement aux certificats et aux produits structurés. «Depuis la crise financière de 2008, beaucoup d’investisseurs ont compris l’importance de cette différence», observe du reste Christian Carron. Le deuxième avantage tient au cercle des investisseurs auxquels on s’adresse. En optant pour un fonds de placement, un gérant d’actifs a accès à un plus grand nombre d’investisseurs, rappelle-t-il. Pour ces derniers, les fonds conservent de nombreux atouts: il s’agit d’instruments liquides et diversifiés qui peuvent être revendus en tout temps. De plus, ils sont soumis à une surveillance étroite de la part des autorités de régulation. Les informations au sujet des fonds sont toujours librement accessibles sur leur site.
Assurer la liquidité des fonds de placement nécessite aussi que le calcul des prix puisse s’effectuer en tout temps, selon l’échéancier du fonds (quotidien, hebdomadaire, mensuel). C’est l’une des tâches clés qui incombent à l’activité de direction de fonds, qui la confie à un administrateur de fonds. Le calcul des valeurs nettes d’inventaire (VNI) est effectué de manière régulière, dans la majorité des cas quotidiennement. Si pour les actifs les plus liquides, comme les actions, ce calcul peut se baser sur le cours de clôture, l’exercice peut s’avérer plus complexe lorsqu’il s’agit de titres qui ne sont pas nécessairement échangés quotidiennement sur les marchés, ou lorsque les transactions se déroulent hors marché (OTC). Dans ce cas, il n’y a pas toujours de cours d’ouverture et de clôture pouvant être utilisés pour calculer la valeur du fonds.
Dans certaines situations, le calcul des VNI nécessite le recours à d’autres approches: en l’absence de cours de clôture, l’administration de fonds doit procéder à une estimation au plus juste du prix. Parfois, il est aussi nécessaire de s’appuyer sur des modèles qui permettent d’évaluer un cours théorique, mais cela est extrêmement rare. Néanmoins, tout doit être documenté et sera contrôlé par le réviseur.
Les situations de fortes tensions sur les marchés représentent toujours une source de difficulté pour les gérants et les investisseurs. Quand la volatilité augmente fortement, est-il toujours possible d’assurer la liquidité des fonds? Il faut distinguer deux sortes de configuration sur les marchés: d’un côté, il y a les situations où les fluctuations sont très fortes – comme cela a été le cas lors de l’éclatement de la pandémie de Covid-19 à la fin de l’hiver 2020, ou plus récemment au début de la guerre en Ukraine – mais au cours desquelles il a toujours été possible de négocier les titres sur les différentes places boursières. De l’autre, il y a les périodes marquées par un manque de liquidité sur certains marchés, comme cela avait été le cas durant la crise financière globale en 2008.
On ne peut pas, par nature, empêcher le risque de marché
Pour une direction de fonds, l’essentiel est surtout d’éviter les risques de liquidité, de sorte qu’un fonds soit toujours en mesure de répondre aux demandes de remboursement des parts. En revanche, elle ne peut pas protéger les investisseurs contre le risque de marché proprement dit. «On ne peut pas, par nature, empêcher le risque de marché. Notre rôle est de contribuer à assurer le bon fonctionnement d’un fonds, même lors de périodes de fortes turbulences sur les bourses. En mars 2020, il y a eu une grande volatilité sur les marchés financiers pendant quelques jours, mais il n’y a eu aucun souci de liquidité. Tous les remboursements ou rachats ont pu être honorés sans problème, ce qui a rassuré les investisseurs», met en perspective Christian Carron.
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