
D’un parfum mythique à une collection de haute joaillerie unique
Texte: Julie Marsiat - Photos fournies par Chanel
Le parfum mythique inspire une collection de haute joaillerie. A l’occasion des 100 ans du parfum CHANEL No 5, lancé en 1921 par Mademoiselle Chanel, la maison dévoile une collection de haute joaillerie entièrement consacrée à la mythique fragrance.
Texte: Julie Marsiat - Photos fournies par Chanel
En 1921, c’est la sidération: le parfum No 5, quintessence de l’esprit Chanel, révolutionne le monde de la parfumerie. A l’aube des Années Folles, Gabrielle Chanel est la première femme couturière à lancer son parfum. Audacieuse, la créatrice rompt avec la mode des effluves d’Orient et des senteurs romantiques au trop-plein de fleurs, habillés dans des flacons baroques, décorés par des artistes en vue. Son goût pour l’épure et la simplicité bouleverse la donne, elle appose sur ses concurrents «la marque déshonorante du démodé» (Roland Barthes).
Ce bouquet de fleurs abstraites aux 80 ingrédients, créé par le parfumeur Ernest Beaux pour Mademoiselle Chanel, vibrant sous l’effet des aldéhydes, démode instantanément les conventions de l’époque. Le No 5, chiffre fétiche de Mademoiselle, ne ressemble à aucun autre. «Un parfum de femme à odeur de femme»: voici comment Mademoiselle le désigne. Il symbolise non seulement le luxe mais définit aussi une femme qui revendique sa personnalité, sa féminité, sa sensualité.
Présenté dans un simple flacon rectangulaire aux arêtes arrondies, fermé d’un bouchon octogonal estampillé d’un double C, il joue l’épure et propulse les Années Folles un pas plus loin vers l’abstraction. Sa radicalité esthétique contribue à définir sa signature visuelle originale, s’inscrivant dans la perspective minimaliste des créations de mode de Gabrielle Chanel.
Bien qu’invisible, le parfum est essentiel pour définir une allure et un style. En 1952, Marylin Monroe s’exprime à propos du No 5 dans le magazine Life, elle évoque une interview au cours de laquelle sa réponse à une question indiscrète avait été censurée: «Que portez-vous au lit? CHANEL No 5.» La légende No 5 traverse les époques.
Pour célébrer les 100 ans de cette création hors norme, CHANEL dévoile pour la première fois de son histoire une collection de haute joaillerie consacrée à un parfum. Deux artefacts symboliques de la féminité fusionnent dans un condensé d’allure inédit. «Au-delà du fait qu’ils touchent directement la peau des femmes, ces deux univers incarnent les valeurs d’excellence et d’audace de Chanel», souligne Patrice Leguéreau, Directeur du Studio de Création Joaillerie de la maison depuis 2009.
J’ai voulu retrouver l’esprit de Gabrielle Chanel
Toute la grammaire poétique de l’effluve est ainsi réinterprétée dans le langage des pierres. Sous l’impulsion de Patrice Leguéreau, la mythique fragrance se métamorphose en des parures précieuses, comme autant de réminiscences de ses codes graphiques, devenus des icônes à part entière. «J’ai conçu cette collection comme une immersion, un cheminement dans ce qui constitue l’âme et les arcanes du parfum No 5. J’ai voulu retrouver l’esprit de Gabrielle Chanel. Je suis parti à Grasse dans les champs de jasmin et de roses de mai avec Olivier Polge, Parfumeur Créateur de la maison. Je me suis nourri de la fragrance en me demandant comment nous allions raconter cette histoire sans être purement littéral et traduire la magie et le mystère du parfum No 5», confie le Directeur du Studio, qui a exprimé la fluidité du parfum dans le travail du métal et des pierres, sublimé par le geste des artisans.
«Face à ma table à dessin, en quelques coups de brosse trempée dans de l’encre de Chine, j’ai essayé d’illustrer, sans aucune concession, la puissance, la force, la féminité et la richesse incroyable de ce jus», décrit ce passionné de dessin et de sculpture qui a d’abord façonné ses créations en taille réelle dans la cire, matérialisant les détails les plus ténus: pétales ourlés, angles biseautés, gouttelettes perlées…
Cent vingt-trois pièces extraordinaires, réunies par des savoir-faire virtuoses, subliment ainsi les grands traits du parfum, instantanément reconnaissables: les fleurs qui composent sa fragrance, l’éternel numéro 5, le flacon et son bouchon. Le figuratif côtoie l’abstraction, le réel se mêle à l’impalpable: l’indicible du No 5, son aura mystique, son âme mystérieuse se matérialisent en des motifs chimériques, constellés de gemmes rares. Sa simple émanation est capturée, dans un jeu de transmutation parfaitement orchestré.
«Nous sommes partis de l’identité visuelle du flacon pour aller jusqu’à l’imaginaire de la fragrance. Cela revenait à passer du visible à l’invisible en exprimant, par exemple, l’explosion olfactive du parfum et sa trace à la fois tangible et intangible: le sillage», détaille Patrice Leguéreau. Avec cette myriade de pièces architecturées et fluides, traversées d’éclats évanescents, il soumet l’imaginaire à un nouveau système de signes.
Puisant dans l’histoire de la maison, le créateur n’hésite pas à filer la métaphore avec la collection Bijoux de Diamants de Gabrielle Chanel imaginée en 1932. «Ce feu d’artifice de pierres, ce ruissellement de gemmes en forme de gouttes, cette nuée de fleurs, rappelant une constellation infinie, sont autant de clins d’œil aux Bijoux de Diamants de 1932», précise-t-il. A l’époque, la couturière dévoile lors d’une exposition à l’Hôtel de Rohan-Montbazon une éblouissante collection de parures en diamants aux montures discrètes de platine qui attire le Tout-Paris, rompant alors avec son goût pour les bijoux fantaisie. Les diadèmes, bagues, bracelets et colliers s’enroulent délicatement sur le corps des femmes comme une étoffe, renouvelant les jeux de portés. C’est avec la même audace que Patrice Leguéreau s’est appliqué à retranscrire l’esprit de l’effluve dans ses créations.
Pièce maîtresse de cette précieuse collection, le collier 55.55 condense tous les codes de la fragrance, pour mieux les transcender. Point d’orgue de cette majestueuse parure, une gemme extraordinaire orne son cœur: un diamant taillé sur mesure de 55,55 carats, à la silhouette octogonale. «Cette démarche est sans précédent», fait valoir Patrice Leguéreau. «Nous sommes partis d’un diamant brut que nous avons fait tailler non pas pour en tirer la plus grosse pierre possible, mais pour obtenir un diamant octogonal, parfait. Ce bijou unique est composé d’un diamant taillé à notre mesure pour qu’il pèse très exactement 55,55 carats. C’est un exploit!» s’enthousiasme-t-il. Tailler un diamant au millième de gramme près au risque de lui faire perdre de la valeur: le fait est rarissime en joaillerie.
Le poids symbolique de cette pierre hors norme de 55,55 carats, sa forme harmonieuse, en «taille émeraude», sa qualité D Flawless mais aussi son chaton en or blanc 18K en forme de flacon serti de 104 diamants ronds et de 42 diamants baguette: tout concourt ici à l’excellence. Une prouesse qui témoigne de la virtuosité des artisans, tout comme de l’exigence de CHANEL en matière de création et de sa maîtrise technique.
«Avec cette gemme spectaculaire, nous avons voulu que ce collier vive d’autant plus et diffuse sur la peau ses différentes facettes comme les effluves du parfum No 5», poursuit le Directeur du Studio de Création Joaillerie de la maison. Le profil du bouchon, la silhouette du flacon, le fermoir dans la forme du chiffre porte-bonheur s’enroulent dans une chute de diamants poire de différentes tailles, ajustés un à un.
D’une souplesse inouïe, ce collier mythique a vocation à rejoindre le patrimoine de la maison, il ne sera donc ni vendu ni placé dans un coffre. Une manière de rendre hommage à ce précieux ouvrage, en dehors de toute démarche commerciale. Il pourra ainsi voyager et être vu à travers le monde, car le patrimoine CHANEL est avant tout un patrimoine vivant.
Aucune facette du No 5 n’échappe à son interprétation. Les traits signature du célèbre parfum se distillent dans les parures, en solo ou en superposition. Les motifs mettent en valeur l’éclat des diamants, auréolés de touches chromatiques évocatrices: les teintes solaires et ambrées des topazes impériales, citrines, saphirs et béryls jaunes rappellent en filigrane l’or du jus du No 5; les touches pourpres des rubis, grenats et spinelles font écho à son cœur épicé, poudré, passionné. Quant aux saphirs roses, ils apportent féminité et douceur. Ici et là, le cristal de roche laisse entrevoir des lits de brillants qui soulignent des profils épurés. Mademoiselle Chanel l’avait beaucoup utilisé dans la décoration de son appartement rue Cambon, elle lui accordait un rôle protecteur.
Le symbolisme floral ponctue l’ensemble de la collection. Les extraits de jasmin de Grasse, la rose de Mai, l’ylang-ylang que l’on retrouve au cœur de la fragrance, éclosent en abondance dans une modernité teintée de romantisme, à la manière de bouquets stylisés.
Bagues, boucles d’oreilles, colliers et broches se sculptent de pétales et de corolles flottants, travaillés en volume, sublimés par les reflets scintillants des gemmes. La grâce évocatrice du jasmin se lit dans ces parures dentelées de fleurs aux allures d’étoiles, serties de diamants, parsemées des reflets miroitants du cristal de roche. A l’image d’un jardin onirique en pleine éclosion, les créations se drapent de saphirs roses, évocation de la rose de Mai, et de saphirs jaunes, allusion à l’ylang-ylang, ouvragé comme un soleil. Ces motifs floraux, délicatement ciselés, se prolongent parfois d’une délicate nuée de diamants de taille poire ou de perles de culture, rappelant les gouttes de rosée qui ourlent les pétales à l’aube.
Le No 5 est instinctivement lié à la radicalité des lignes de son flacon, parfait rectangle transparent surmonté d’arêtes biseautées. Sa silhouette gracile et simplissime rappelle celle de la «petite robe noire» de Mademoiselle Chanel, qui fit fureur en 1926. On la retrouve métamorphosée dans les bijoux à travers des lignes sobres, des contours nets, des figures géométriques.
L’abstraction se dessine entre les lignes de diamants blancs et de diamants jaunes, de saphirs jaunes montés en cascade sur des sautoirs, des broches et des pendants d’oreilles. Le motif du flacon apparaît discrètement, parfois même secrètement, de manière subliminale, dans des entrelacs géométriques d’or, de platine et de diamants, construits comme de petits précis d’architecture. Dans un jeu de mise en abyme, ces pièces aériennes, traversées de lumière, s’auréolent de larmes de diamants poire et de morganites rosées, qui semblent s’épanouir sur la peau comme des gouttes du parfum.
Le bouchon de la mythique fragrance, porte d’entrée dans l’imaginaire du No 5, se fait aussi leitmotiv. Ce cabochon octogonal facetté, inspiré de la «taille émeraude» pratiquée en joaillerie, rappelle le dessin de la place Vendôme vue du ciel, ici même où vivait Mademoiselle Chanel, dans une suite du Ritz qui porte toujours son nom. Le précieux octogone se retrouve au cœur de parures graphiques, entrelacements labyrinthiques façonnés dans du cristal de roche ou sertis de diamants, d’onyx, de perles, de saphirs jaunes, parfois surmontés de perles de culture. Allégorie de l’épure chère à Mademoiselle, le bouchon est parfois féminisé d’un ruban ondulant de brillants, tout comme le dessin du chiffre 5 qui est lui aussi l’une des signatures emblématiques de la collection.
«Le motif du ruban, en écho à la couture, première activité de Gabrielle, apporte une touche de sensualité au dessin du chiffre 5. Nous avons prêté une attention particulière à la souplesse et à l’ergonomie des parures afin que l’or s’enroule comme un nuage de parfum autour du cou», détaille Patrice Leguéreau. Le chiffre 5, porte-bonheur de la couturière, qui scelle le mystère de la fragrance, se décline à l’envi. Son design tout en volupté s’épanouit dans des constellations de diamants ronds, poire, navette et ovales.
Dans un geste créatif radical, Patrice Leguéreau a poursuivi son exploration jusqu’à immortaliser le sillage du No 5. Répondant au souhait de Gabrielle Chanel, Ernest Beaux n’a pas reproduit une odeur existant dans la nature. Les aldéhydes, molécules de synthèse, utilisées en quantité inhabituelle pour l’époque, confèrent au parfum sa touche abstraite. Patrice Leguéreau offre ici une expression graphique à cette part d’impalpable, façonne en or et en diamants l’aura mystérieuse de l’effluve. Resplendissantes de couleurs, constellées de rubis, grenats, saphirs jaunes et spinelles roses et rouges, les pièces s’auréolent d’un esprit incandescent, illustrant l’explosion olfactive du No 5. Elles flirtent avec le baroque pour mieux rappeler la richesse du jus.
«Avec 123 bijoux, la Collection No 5 est d’une ampleur inédite. La richesse du parfum et ses multiples aspects s’y prêtaient. C’est sûrement la collection de haute joaillerie la plus personnelle et la plus intime que nous ayons faite. L’or, les pierres, notre savoir-faire ont été mis au service de la création et du parfum No 5», conclut Patrice Leguéreau, qui a réussi son pari: «transformer une icône de la parfumerie en une icône de la joaillerie».